top of page

TRAINSPORTTING "Ou l’art de regarder passer les trains"

Il est de ces lieux, devant lesquels on passe, sans se soucier, ou même qu’on ne voit pas. Des lieux qui forment des intériorités, parfois connues seulement du quartier, des passionnés ou simplement des curieux. Formes d’hétérotopies au coeur de la ville, ce sont des lieux de surprises, des cavités comme autant de grottes dans le paysage urbain. La salle de boxe conçue par Pierre Blondel est un de ceux là.


En quittant Ixelles pour Etterbeek, on emprunte la rue du Sceptre, jusqu’au moment où le pont de la voie ferrée se présente. Là une grande façade blanche ondulante ponctuée de quelques baies et des lettres SPORT attirent l’œil nous indiquant que cette maison unifamilial à la silhouette typiquement bruxelloise renferme quelque chose de plus. En y regardant de plus près, la façade à rue dévoile timidement son programme et le T du grand lettrage vient indiquer l’entrée principale.


Maison familiale devenue de quartier, lieu délaissé devenu habité, l’endroit est dédié à l’apprentissage des sports de combats et plus particulièrement de la boxe. Cette initiative née de la volonté de l'ehevin d’Ixelles Béa Dialloqui, qui voyait en ce centre un potentiel d’activité pour les jeunes du quartier et une structure pour la boxe à l’échelle de la ville.Porte vitrée passée, un espace exiguë se présente, quelques marches amènent vers l'acceuil, de là un employé nous invite à passer un portillon. Cette « mise en scène » n’est pas du plus bel effet, mais la façade vue depuis l’extérieur est gage de promesses. La progression s’opère à l’intérieur d’un long couloir sorte de boyau, ponctuée de faisceaux lumineux provenant de petites lucarnes colorées, disséminés ça et là à la manière d’un Ronchamp revisité. L’espace du couloir tire son caractère d’un savant découpage lié aux contraintes d’une construction en cœur d’îlot. Derrière se trouvent les locaux administratifs et on devine au loin, la présence en ces lieux d’une salle bien plus spacieuse qui crée un appel.


La salle principale libre de poteaux développe une importante surface, comparé à l’étroitesse de l’accès. Elle est capable d’accueillir différentes configurations entre les combats ouverts au public. Dès que l’on pénètre dans cette salle, l’esprit des lieux est palpable, baigné de lumière, rendue prismatique par la présence de nombreux vitrages et miroirs réfléchissants. La luminosité est renforcé par le blanc éclatant des parois et plafonds. Un patio vient habilement faire le lien entre l’espace de formation et d’entraînement, en agissant comme un filtre de verdure, îlot isolé au milieu d’une étendue de bois vernis.


À côté du grand ring un groupe d’enfants s’entraîne, guidé par la voix puissante de leur coach, les sacs de frappe sombres et rigides semblent démesurés face à ces milles petits poings énergiques. Leurs volonté parait inébranlable. Le passage d’un train semble contredire l’affirmation, en venant marmonner dans une sourde vibration « le chemin sera long ».

Coté voie ferrée, un triptyque sur le rivage en face, fait d’amas de maisons. Il renvoit un tableau modeste du quartier. Un des vitrages couvert d’une tôle perforée, offre une nouvelle lecture ; soudaine figure de style de l’impact de la salle de boxe sur ce morceau de ville.

Dans l’angle, un petit escalier se présente tout en finesse de bois et métal, il nous mène à une étape essentielle de la progression du sportif, la musculation. Dans cette grande salle des machines, les athlètes cisèlent leur corps en regardant circuler les convois. La mezzanine reprise de suspentes est aussi le pont du bateau duquel, confortablement accoudé à une large lisse de bois, on peut observer sur le ring coloré les boxeurs en action. On imagine déjà la fièvre du soir de match, le carré de cordages baigné de lumière. En attendant l’heure du combat, on observe la répétition des enchaînements entre un jeune boxeur et son entraîneur, alors que depuis le bord un troisième personnage fait son entrée pour soutenir son fils dont les coups redoublent de puissance.


Ce spectacle de rythme est conforté par le jeu de structures métalliques des fenêtres montant en spirales jusqu’au sommet. Selon les mots de l’architecte, « l’ensemble de l’équipement est vu comme une progression spatiale, correspondant à celle sportive, d’enseignement, voire spirituelle des utilisateurs ». Si l’on sent une forme de progression visuelle, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la présence d’escaliers raides casse quelque peut la progression physique. La dernière partie du parcours se fait dehors, sur des terrasses offrant la possibilité de s’entraîner à l’air libre. Ici au milieu des toitures, l’horizon s’ouvre sur une partie de la ville, complétée d’une vue plongeante sur le ring. La première terrasse est close d’un petit jardin suspendu, derrière lequel on distingue sur le mitoyen le stigmate maçonné d’un ancien faîtage. Le bâtiment s’il est vu comme un boxeur, nous apporte par cette cicatrice le témoignage de son vécu mouvementé. Une fois redescendu, le ring toujours dans le champ de vision comme point d’attraction exerçant sa force centrifuge. Fin d’un parcours, fin d’un match, on croise des habitués s’enfoncer dans les profondeurs d’une pente miroitante, vers les vestiaires. C’est là que nos chemins se séparent. A coté un panneau de bois brut exprime une texture vibrante comme une ultime émotion. On passe de la lumière vers l’ombre.


Sortie dans la rue, se précise en face une petite passerelle, j’y retrouve une analogie avec le couloir emprunté juste avant. Petit raidillon longeant les rails, il débouche sur le parc du Viaduc. Ici le rapprochement avec l’architecture de Blondel se fait de nouveau, alors surpris au même titre que pour la grande salle du ring par la soudaine respiration offerte. En direction de la rue du viaduc sur un calepinage de béton disséminé dans l’herbe, un train passe de nouveau atténuant des cris d’enfants. Nous sommes devant une crèche, bientôt ils pourront venir compléter eux aussi, les rangs des quelques centaines de boxeurs d’à côté.




bottom of page