LA DECENTRALISATION AU TOGO
Compte-rendu critique de la conférence d’ Assogba GUEZERE, (Maître de conférences du département de Géographie à l’Université de Kara au Togo) sur le thème « La mobilisation participative des organisations locales à la co-production des services urbains dans les villes togolaises ». Dans le cadre de la conférence N-Aerus sur les mouvements sociaux et la justice sociale.
Le Togo comme beaucoup de pays d’Afrique de l’ouest va vers une décentralisation territoriale. Cependant jusqu’à présent rien de concret. Pourtant des lois sont adoptées en ce sens mais pas effectives. Il n’y a plus d’élections locales depuis 1987 et les maires sont nommés par le pouvoir central. Des 344 Communes rurales et des 5 Conseils Régionaux prévus par la loi de Mars 2007 rien n’est opérationnel. Dans les années 1980 une crise économique à laquelle vient s’ajouter la crise politique des années 1990 freine le processus de décentralisation. À la fin des années 1990, l’Etat se tournent vers des réformes institutionnelles et un développement social. Dans le même temps des partenariats public-privés éclosent et la décentralisation est encouragée par les bailleurs de fonds, au moment où l’Etat-Nation peine à faire face aux demandes des populations. A cet effet, de multiples rencontres et conférences se sont succédés ; en 2008 à New-York ; sommet de Johannesburg en 2002, pour la prise en compte de la dimension humaine dans les programmes de développement. La Banque mondiale et le Fond Monétaire International oeuvrent aussi en ce sens.
Après l’indépendance des pays d’Afrique noire s’en ai suivi une centralisation du pouvoir sous forme d’Etat providence. Cette organisation ne fonctionnera pas; mis en cause une mauvaise gestion, un désengagement local, et un manque de flexibili- té...Cette forme d’organisation a laissé des traces est les Togolais semblent encore attendre beaucoup du pouvoir central. Un retour à la décentralisation peut aussi donner l’impression d’une reproduction d'une partie de la culture politique des régimes post‐coloniaux et par la même amener une frilosité compréhensible. Cependant, des initiatives locales contribuent à la lutte contre la pauvreté (Togo 147ème selon l’IDH), sollicitant quand il le faut l’aide de l’Etat ou d’investisseurs extérieurs. C’est le début de ce qu’on pourrait appeler la gestion urbaine participative. La participation des populations a un effet bénéfique d’autant plus en temps de crise car il permet de toucher du doigt directement les problèmes et attentes de la population. Dans les pays développés la question du débat public, est très présente. On peut légitimement penser cependant qu’un recours permanent à la consultation publique peut être source de blocage pour de grands projets urbains s’avérant pourtant indispensables.
La décentralisation progressive peut également être expliquée par le biais de l’évolution démographique exceptionnelle. Les villes moyennes se multiplient comme autant de centres de pouvoirs locaux désireux de s’exprimer. Les villes togolaises sont en crise l’urbanisation est anarchique, résultante d’un exode rural massif de population qui s’implante à la marge des villes. C’est face à ce constat urbain qu’apparaît l’idée d’une gouvernance urbaine participative basée sur une économie locale, les secteurs privés et public ainsi que le secteur informel...cette économie représentée fondée sur une économie familiale, culturelle et religieuse est rarement reprise dans les études bien que très présente. Dans le même temps la montée en puissance des acteurs privés et des bailleurs de fonds implique un bonne relation politique publiques/usagers. Doit aussi s’organisation des élections libres et transparentes pour renforcer la légitimité des gouvernements, pour plus d’efficacité et une meilleure mobilisation de la population. Pourtant en 2001, on assiste à une forme de centralisation lorsque le gouvernement decide de destituer et remplacer les pouvoirs locaux élus en 1987. Les maires, actuels ne bénéficient donc d’aucune légitimité populaire et n’ont pas de réelles compétences, rendant l’économie locale précaire. Les populations pauvres sont donc encouragées à prendre leur destin en main, assisté de l’Etat. Dans cette logique sont crées des Comités de Développement à la Base (CDB) qui regroupent les comités de développement de quartiers (CDQ) à l’échelle urbaine et de comités villageois de développe- ment (CVD) dans les zones rurales.
Le « droit à la ville » souhaité par Henri Lefèbvre, passe par la justice spatiale. Selon John Rawls la nature distribue de façon aléatoire les biens premiers naturels et crée ainsi des inégalités qui constituent autant d’injustices puisqu’ils ne profitent évidemment pas aux plus mal lotis, comme au Togo ou se creusent les inégalités scolaires et sanitaires d’une région/quartier à une autre. On peut noter, fait rare en Afrique, que le Togo est parvenu à une autosuffisance alimentaire à peu près complète, même si cela varie là aussi en fonction des régions. Amouzou Essè nous dit aussi que le territoire peut être vecteur de repli culturel ou identitaire parce que composé de castes, d’ethnies...différentes. Pour pallier à ces problèmes des organisations communautaires sont obligées de coproduire les services avec l’Etat. En 1965 le Togo met en place des CVD dont les problèmes abordés sont la santé, l’hygiène, l’eau et l’assainissement, la nutrition et l’éducation. De nos jours, ce comité est appuyé par les ONG et les associations, c’est une forme d’organisation participative en partenariat avec des groupes religieux des bailleurs de fonds, et le gouvernement. Seulement la non représentativité d'un CVD d'une communauté et la confusion des rôles peut-être un facteurs d'entrave au processus d'animation dans les projets de développement à la base. C'est le cas des villages où le président du CVD se substitue pratiquement au chef du village. Aussi parfois l'absence de l'autorité d'un chef traditionnel plonge les communautés dans l'anarchie et le désordre. A Anamé - Gbaganmé, de vielles querelles liées à la chefferie traditionnelle en est une preuve. Il est donc important de prendre en compte les structures traditionnelles d’organisation pour mener à bien un projet.
Depuis cinq ans, le gouvernement Togolais a fait de l’accès au minimum vital, l’une de ses priorités. En ce sens des résultats probants comme la mise en place de petits crédits, la création d’emplois par l’entretien d’infrastructures...dans 24 quartiers pilotes de Lomé, et un engouement traduisant de fait un besoin criant d’infrastructures et d’emplois. L’Etat toujours aidé dans sa démarche par des ONG et bailleurs de fonds. Cependant, le rôle très actif joué par certains bailleurs de fonds dans la mise en oeuvre des projets peut s’avérer être une difficulté d’autant plus si l’Etat se désengage peu à peu. Pour exemple le Togo dispose de gisements importants de minerais, autant de ressource qui doivent être exploitées de manière à offrir un maximum pour la population et prévoir l’après, puisqu’il ne s’agit pas de denrées renouvelables. Il est donc ici indispensable d’introduire la notion de durabilité et ce dans l’ensemble les programmes de développement.
L’amélioration des conditions sanitaires et sociales est une priorité au niveau national comme l’atteste la mise en place des cases santé. Le Togo s’est organisé en régions sanitaires bénéficiant de formations sanitaires spécifiques et de représentants élus par la population. Dans les villages les populations ont créé des écoles et collèges autogérés, ou les habitants sont à la base de la construction et de l’enseignement. L’Etat depuis 2013 intègres les enseignent volontaires dans la fonction publique. On peut quand même là se poser la question du niveau de formation des élèves. Par ailleurs, l’Etat Togolais et les mairies s’engagent avec des organismes comme l’Agence Française de Développement ou le Comité pour le Développement Intégral d’Amoutiévé dans l’élaboration d’études participatives tant sur les potentialité du territoire que sur la stimulation de la population à des projets communautaires. L’intérêt étant l’autofinancement de ces activités par la vente-distribution de l’eau et des latrines communautaires. L’autofinancement est une condition nécessaire à l’indépendance des populations et de l’Afrique en générale. Les activités génératrices de revenus s’avèrent être d’ailleurs une priorité pour ces populations, plus encore que la réalisation d’équipements socio-communautaires, il faut donc peut-être insister sur l’idée des bénéfices sur le long terme de ce genre d’infrastructure.
Autre exemple celui du Comité de Développement de Bè, cité comme modèle de coopération, est devenu le partenaire privilégié aussi bien avec l’Etat qu’avec les autres protagonistes qui préfèrent traiter directement avec lui. Son centre est construit à l’endroit d’un ancien dépotoir, la communauté a fourni les ouvriers dont elle a coordonné l’embauche. Le projet a suscité une adhésion entière de la communauté, ce qui a permis de minimiser les coûts et d’accélérer les travaux. Les ONG et Association accompagnent les communautés et les Comités de Développement des Quartiers dans les actions de développe- ment. Pour exemple les Ville de Tsévié et N’Tifafa, qui on pu mettre ne place des latrines, bornes fontaines, ramassages d’ordures...Un dernier exemple porte sur la ville de Sokodé au centre-Togo qui a vu l’éclosion de nombreuses associations et comités de développement de quartiers qui œuvrent dans le domaine de la salubrité, de la santé et de l’environnement. Dans le quartier Kpangalam-centre, il y a le comité de jeunes pour le développement qui s’occupe par exemple de l’entretien du centre médico-social et du cimetière musulman, la sensibilisation de la population aux maladies. Ce comité a pu gérer les projets de construction d’école et d’un pont dans le quartier avec le soutien d’AGAIB de 2003 à 2009. Ces projets réussissent le tour de force de conjuguer intégration des jeunes et des femmes, prévention sanitaire et écologie, un exemple à suivre donc. Dans les quartiers Tchawanda et Bamabodolo, les constructions des lycées ont été réalisées grâce à la participation financière venue de la population, des fonctionnaires, des retraités et de la diaspora. En effet la diaspora correspond à première « région » du Togo, avec plus de 25% de la population, le total des sommes envoyées par les migrants togolais est de 3 à 6 fois supérieur à celui des appuis budgétaires accordés au Togo à titre d'aide par les pays développés.
Cependant ces coopérations ne sont pas la règle. La décentralisation n’étant pas effective, le pouvoir municipal dépend directement du pouvoir central tout comme le financement. C’est ainsi que des infrastructures construites dans certaines villes fortement politisées sont devenus « éléphants blancs ». L’antithèse de ce que prône Gontcharoff, pour qui, les véritables « instances participatives de quartier sont celles qui disposent d'une portion du pouvoir de décision que les élus leur ont déléguée ». Trois étapes sont ainsi nécessaires pour qu’on parle de la participation « L’information, la consultation, la concertation ». Lorsque qu’il n’y a pas ces trois dimensions, on se retrouve dans une forme officieuse d’exploitation politique. C’est le cas concret de la construction du marché de Tandjouaré soldé par un boycotte. C’est sans doute ce qui a amené le gouvernement depuis août 2012, à se tourner résolument vers le développement communautaire plus participatif.
Cet article est l’occasion de mieux comprendre le contexte dans lequel se fait la décentralisation au Togo. L’apport des thèmes de justice sociale, ou de droit à la ville nous a permis une réflexion sur l’éthique de l’urbanisation. Puis à l’aide de cas concrets nous avons vu différentes formes de gestion participative, ainsi que la mise en place des Comités de Développement de Quartier et leurs actions. Il important cependant de comprendre que le processus de décentralisation sera effectif seulement si une légitimité populaire est donnée aux collectivités locales. Il importe aussi de prendre en considération les structures traditionnelles telles que les chefferies et espérer que la décentralisation ne soit pas l’occasion d’une démission totale de l’Etat au profit des bailleurs de fonds ou groupes privés. En ces cas là on peut douter que les bénéfices profiteront réellement aux populations du moins sur le long terme.
BIBLIOGRAPHIE :
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http://www.memoireonline.com/05/12/5888/Les-entraves-au-processus-danimation-dans-les-projets-de-developpement--la-base-au-Togo-cas- d.html
http://www.fao.org/docrep/003/v5370f/v5370f02.htm#TopOfPage