‘‘Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substance diverses. (…) le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre.’’
L’éloge de l’ombre, Jun’ichiro Tanizaki.
Un crématorium comme élément de régénération urbaine.
Le site de la Digue du canal à Anderlecht se situe en retrait du tumulte de la ville, distancé par la présence de l’eau et par la quiétude des industries. Seules les quelques voitures et péniches de passage viennent s’approcher du lieu tandis que les passants préfèrent rester de l’autre côté de la rive, où la ville prend forme. Le lieu par son exclusion est propice à la poésie, la mélancolie. De cette berge on perçoit la vie en face et on s’adresse à la fois aux grands volumes des dépôts et des silos ponctuant le paysage. On s’abstrait par l’isolement et par le rapport aux forces émanant des masses abstraites, monolithiques.
Le crématorium vient s’inscrire dans l’essence de l’endroit. La typologie du bâti se veut sobre et se résume à une « ligne » de béton, en dialogue avec les berges du canal. Celle-ci est ponctuée par trois imposantes toitures émergeantes qui apportent une visibilité au bâtiment et qui s’ajoutent au paysage formé par les gabarits des entités industrielles avoisinantes. Placé en retrait et en contrebas de la route de la Digue du Canal, le bâtiment se développe de façon longitudinale et marque une limite entre l’avant et l’arrière du site, renforcée par la fermeture complète de la façade. Depuis la rue on perçoit des alignements de peupliers signalant l’entrée et qui amorcent l’accompagnement dans un cheminement rituel, où la nature vient, dans tout le lieu, par sa présence, rassurer les familles, qui se laissent bercer par les ombres apaisantes et le bruit des feuillages.
Le bâtiment est en effet pensé suivant un parcours, comme une respiration où l’on vient se recueillir, partager un moment avec ses proches, se remémorer le passé, puis regarder l’avenir. Ici, le plan basilical est utilisé comme base de composition : le parvis devenant la terrasse, le narthex, la salle de réception, la nef, le patio, les chapelles latérales, les salons des familles,
le transept, les salles de cérémonies, ou encore le coeur, la salle de vision : À l'image de la basilique, une gradation se met en place du public vers le privé.
L’intérieur, fait de béton blanc lisse et réfléchissant, est marqué par une juxtaposition d’ambiances dictées par les jeux d’ombres et de lumière et qui suit l’état moral des usagers endeuillés. L’ambiance solennelle des salles de cérémonie, dont la forme n’est pas sans rappeler l’architecture funéraire des mastabas, s’inscrit dans cet esprit. De même, les deux grands évidements réalisés dans la toiture, puisés dans la référence de la Serpentine Gallery de Peter Zumthor, créent des espaces paysagers à l’intérieur du crématorium et invitent à la déambulation à la manière d’un cloître. Enfin, deux niches abritant l’espace d’attente s’ouvrent vers l’extérieur sur un plan d’eau paisible. Les espaces extérieurs du crématorium constituent la fin du parcours. Générés à partir du bâti, en suivant un système d’axe, ils forment l'arrière du site et profitent de la différence de hauteur avec la rue des Gougons pour rester dissimulés, maintenant ainsi la sérénité du lieu. L’usager peut se promener entre la salle de cérémonie extérieure, posée dans l’alignement des deux autres, les columbariums et la pelouse de dispersion des cendres, avant de pouvoir retourner dans le bâtiment et clôturant de cette façon le cheminement.
Ainsi, les friches d’agriculture urbaine aménagées sur la berge retranscrivent l’idée de cycle et évoquent la succession des saisons ou les cycles de la vie...
Octavio Piñeiro Aramburu